Un fait de plus en plus fréquent dans le monde des embouteilleurs indépendants est la sortie concomitante (ou presque) d’une cuvée d’une même distillerie et d’un même millésime.
J’évoquais déjà cela dans cet article comparant 4 rums MONYMUSK 1984 (Velier par deux fois, Silver Seal et Plantation).
Article que je devrais d’ailleurs mettre à jour du fait de la sortie toute récente d’une 5ème version de 37 ans cette fois embouteillé à 62% par les anglais de Thompson Bros en collaboration avec Auld Alliance de Singapour.
Ce phénomène n’est clairement pas nouveau puisque l’on retrouve déjà de multiples embouteillages de Longpond et Demerara (Enmore, mais surtout Versailles) 1985, Barbados 1986, Longpond 1986, Gardel 1982, Hampden 1990, Port Mourant 1975, Hampden 1992 / 1993 / 2000, sans oublier les 2 Longpond 1941 que je comparais dans cet article.
Sans être embouteilleur indépendant soi-même, il est difficile de connaître les raisons de ces similitudes.
Est-ce qu’il s’agit d’un millésime exceptionnel chez une distillerie précise ou bien d’une offre proposée par les brokers ?
Je n’ai pas la réponse et je ne cherche aucunement à lancer de polémique.
Toutefois, je me suis longtemps interrogé sur le pouvoir des brokers à influer et à influencer le marché des embouteilleurs indépendants.
En effet, ce sont bien les brokers qui choisissent ce qu’ils veulent bien faire déguster et vendre ou non aux embouteilleurs indépendants.
Et même si ces derniers sont libres ou non d’accepter d’acheter pour embouteiller, il est difficile pour eux de rester inactifs sur le marché.
CREDIT PHOTO : TASTING BROS
Donc que ce passerait-il si un broker décidait qu’il est temps de vendre tel ou tel lot qu’il a acheté il y a de nombreuses années et qui est arrivé à maturité ?
Soit le changer de contenant (verre ou inox idéalement) pour stopper son vieillissement avant que son profil ne s’altère (critères de jugement très subjectifs nous sommes d’accord), soit le vendre.
On comprend bien ici que le fait que je ne puisse pas pouvoir fournir de réponses peut nourrir tous les fantasmes et les suspicions quant aux raisons qui voient des cuvées de millésime et de distillerie similaires arriver sur le marché par différents embouteilleurs indépendants.
Les goûts étant purement personnels, je n’irais pas jusqu’à dire que ces doutes peuvent être renforcés lorsque ces cuvées sont moyennes, voire médiocres, mais il ne me semble pas irrationnel de s’interroger.
À l’inverse, il est aisé de comprendre que de nombreux embouteilleurs indépendants se ruent sur le même millésime d’une même distillerie lorsque celui-ci est au minimum très rare et au mieux délicieux (ce second critère étant là aussi très subjectif).
À noter que je n’accuse pas les brokers d’être opaques sur cette question, car il ne me semble pas que quiconque les ait déjà interrogé sur ce sujet.
On trouve toutefois des éléments de réponses dans cette excellente interview du broker E&A SCHEER réalisée par mon ami du BLOG À ROGER dans cet article.
CREDIT PHOTO : LES RHUMS DE L'HOMME A LA POUSSETTE
Ce même genre d’interrogation pourrait se poser concernant les embouteillages des différentes distilleries de Martinique et de Guadeloupe.
Citons par exemple les millésimes 1979, 1980, 1998 et 2005 embouteillés par de nombreuses distilleries des Antilles françaises.
Même si cela reste subjectif là encore, il est certain selon moi que ces 3 exemples sont des années exceptionnelles pour le rhum agricole et que l’immense majorité des rhums de ces millésimes m’ont semblé excellents.
Mais on peut se poser la question du marketing lorsqu’une distillerie, peu ou pas habituée à embouteiller des millésimes, décide soudainement d’en embouteiller un après que d’autres distilleries l’aient fait pour ce même millésime.
Tout cela étant dit, je me réjouis pour ma part de pouvoir réaliser un nombre assez délirant de dégustation comparative grâce à ce phénomène et il faut garder en tête que seul le jugement implacable de la dégustation permettra de se faire sa propre opinion sur ces questions, car peu probable que l’on obtienne des réponses totalement sincères sur ces sujets sensibles.
CREDIT PHOTO : QUENTIN NEDEAU
Cette (longue) introduction étant maintenant terminée, revenons au sujet de cet article : la dégustation comparative des 5 rums de la distillerie jamaïquaine Hampden du millésime 1983 embouteillés à ce jour par 5 embouteilleurs indépendants différents.
Toujours dans un souci de partage et connaissant l’amour de mon meilleur ami italien pour les Hampden d’embouteilleurs indépendants, j’ai profité de mon tout récent séjour en Italie pour réaliser cette dégustation comparative avec lui.
À noter que cette idée m’a été soufflé par un ami havrais fan de Hampden et qui a réalisé cette dégustation il y a quelques temps.
Vous pouvez d’ailleurs retrouver ces retours sur l’excellent groupe Facebook « ESTERS & CO ».
COMPAGNIE DES INDES HAMPDEN 1983 33 ans 54,1%
CREDIT PHOTO : RUM AUCTIONEER
Il s’agit donc d’un rum de la distillerie jamaïcaine Hampden du millésime 1983 ayant vieillit 35 ans (probablement sous climat continental, mais ce n’est pas précisé) avant d’être embouteillé à 54,1% en 250 exemplaires par l’embouteilleur indépendant français COMPAGNIE DES INDES pour le marché de Hong Kong.
La robe est or.
Le nez est expressif, porté sur des notes de fruits tropicaux trop mûrs (ananas, mangue) et d’olives vertes, ainsi que de fruits secs (abricot, raisin).
Peu de traces de notes boisées.
CREDIT PHOTO : THE LONE CANER
En bouche, c’est puissant et l’alcool ne me semble pas très bien intégré.
On retrouve des notes de saumure d’olive et de fruits trop mûrs (ananas toujours, banane), ainsi que des notes épicées (gingembre) et poivrées associées à une note légèrement salée.
Toujours pas de marque importante du bois.
Belle longueur.
Un joli profil, mais un peu terni par un alcool pas suffisamment bien intégré à mon goût : ⭐️⭐️
Vous aussi laissez vos impressions et rédigez votre propre note de dégustation sur l'application RUM TASTING NOTES ici.
VALINCH & MALLET HAMPDEN 1983 35 ans 55,3%
CREDIT PHOTO : RUM AUCTIONEER
Il s’agit donc d’un rum single cask de la distillerie jamaïcaine Hampden du millésime 1983 et du mark HGML ayant vieillit 35 ans (probablement sous climat continental, mais ce n’est pas précisé) avant d’être embouteillé brut de fût sans filtration à 55,3% par l’embouteilleur indépendant anglais VALINCH & MALLET.
La robe est or.
Le nez est plus effacé que le précédent.
Il lui faut du temps pour se révéler et devenir plus intense.
On est sur un profil assez gourmand sur des notes de confiture de goyave et d’ananas rôti associées à de discrètes notes de tapenade, bien plus discrètes que sur le précédent.
CREDIT PHOTO : RUM AUCTIONEER
En bouche, c’est collant et huileux.
On retrouve la gourmandise d’une compotée de fruits exotiques (ananas) associées à des notes de solvant et de tapenade d’olives vertes.
Beaucoup moins épicé que le précédent et sans grandes notes boisées là encore.
Belle longueur.
Un profil un peu plus à mon goût de par la gourmandise, mais je reste un peu sur ma fin du fait de la palette aromatique proposée : ⭐️⭐️⭐️
Vous aussi laissez vos impressions et rédigez votre propre note de dégustation sur l'application RUM TASTING NOTES ici.
CORMAN COLLINS - AULD ALLIANCE HAMPDEN 1983 35 ans 55,3%
CREDIT PHOTO : EXCELLENCE RHUM
Il s’agit donc d’un rum de la distillerie jamaïcaine Hampden composé d’un assemblage des millésimes 1982 et 1983 ayant vieillit dans le même fût 35 ans sous climat continental avant d’être embouteillé à 55,3%% par l’embouteilleur indépendant belge CORMAN COLLINS en association avec AULD ALLIANCE de Singapour.
La robe est vieil or.
Le nez est plus expressif que le précédent, tout en étant moins puissant que le premier.
On est sur un profil élégant avec des notes de saumure d’olives associées à des notes salines, mais également à des fruits tropicaux très mûrs (ananas en tête à nouveau) et un peu d’acidité évoquant les agrumes (citron vert, yuzu).
Pas de notes boisées marquées.
CREDIT PHOTO : LE BLOG A ROGER
En bouche, l’alcool est très bien intégré, c’est complexe et gras.
On trouve des notes de solvant, d’anchoïade et tapenade d’olives vertes, puis des notes gourmandes de confitures de banane et d’ananas caramélisés associées à des notes pâtissières (brioche) bien balancées par une discrète acidité (pomme verte).
Toujours pas de notes boisées marquées.
Très belle longueur.
Un superbe profil complet et élégant que j’apprécie particulièrement : ⭐️⭐️⭐️⭐️
Vous aussi laissez vos impressions et rédigez votre propre note de dégustation sur l'application RUM TASTING NOTES ici.
KILL DEVIL HAMPDEN 1983 35 ans 58,1%
CREDIT PHOTO : PRECIOUS LIQUORS CLUB
Il s’agit donc d’un rum de la distillerie jamaïcaine Hampden du millésime 1983 ayant vieillit 35 ans (probablement sous climat continental, mais ce n’est pas précisé) avant d’être embouteillé à 58,1% en 198 exemplaires par l’embouteilleur indépendant anglais KILL DEVIL.
La robe est or.
Au nez, c’est plus sage que le précédent.
On trouve des notes de solvant à nouveau, mais en quantité moindre que sur le précédent.
Pas de notes exacerbées d’olives ni de saumure comme pour le précédent.
On est sur un registre un peu plus boisé que les autres versions dégustées jusqu’alors auquel s’associe des notes de cuir et de tabac blond, le tout bien balancé par des notes gourmandes d’ananas très mûrs.
CREDIT PHOTO : RHUM ATTITUDE
En bouche, l’alcool est bien intégré.
On trouve des notes de fruits exotiques très mûrs (banane, ananas) qui viennent faire le contre-poids des notes boisées et épicées (muscade, gingembre).
On trouve également quelques notes légèrement acides sur le vinaigre de pomme.
Belle longueur.
Un rum plus boisé que les autres (cela reste très raisonnable en terme de « bois »), ce qui s’associe très bien aux autres éléments aromatiques de ce rum : ⭐️⭐️⭐️
Vous aussi laissez vos impressions et rédigez votre propre note de dégustation sur l'application RUM TASTING NOTES ici.
RUM ARTESANAL JAMAICA 1983 35 ans 58,9%
CREDIT PHOTO : RUM AUCTIONEER
Il s’agit donc d’un rum single cask d’une distillerie jamaïcaine (Hampden n’est pas précisé) du millésime 1983 ayant vieillit 35 ans sous climat continental avant d’être embouteillé à 58,9% en 322 exemplaires par l’embouteilleur indépendant allemand RUM ARTESANAL.
La robe est or.
Le nez est très expressif, porté sur des notes de solvant, de tapenade d’olives vertes, d’anchoïade et de houmous, associées à des notes de fruits exotiques trop mûrs (banane et mangue, puis ananas).
On retrouve une trame boisée comme sur le précédent qui vient discrètement contenir la puissance des esters.
En bouche, c’est intense, mais l’alcool est bien intégré.
CREDIT PHOTO : RUM AUCTIONEER
On trouve des notes intenses d’esters portées sur la saumure d’olive, les câpres et le houmous associées à des notes légèrement acides (vinaigre, citron vert).
On trouve également des notes de fruits secs (dates) et de fruits à coque (cajou) associées à des notes boisées comme sur le précédent et des notes poivrées qui viennent bien balancer les autres arômes.
Très belle longueur.
Un très beau profil, un peu plus boisé que le Corman Collins & Auld Alliance, ce qui le rend moins gourmand, mais complexe : ⭐️⭐️⭐️⭐️
Vous aussi laissez vos impressions et rédigez votre propre note de dégustation sur l'application RUM TASTING NOTES ici.
En conclusion, je dirais que si je devais établir un classement, ce serait donc :
1 - Corman Collins & Auld Alliance
2 - Rum Artesanal
3 - Kill Devil
4 - Valinch & Mallet
5 - Compagnie Des Indes
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